jeudi 30 octobre 2008

081030—> Jacqueline de Romilly

30 octobre 2008 ; lu sur le blog de Pierre Assouline
Merci à Mireille G. pour ce lien

Encore, elle remet ça ? Parfaitement. Cela dure depuis une demi-siècle et ça ne s’arrêtera qu’avec sa disparition. Car même privée de la vue, Jacqueline de Romilly poursuit son inlassable propagande pour la culture grecque. Ce qui s’appelle enfoncer un clou. Dans le bonheur du commerce intime avec ce que la pensée a produit selon elle de plus noble pour l’esprit, dans la souffrance de le clamer dans le désert et l’indifférence, avec la colère qui s’ensuit. Sauf que cette fois, celle qui fut la première femme professeur au Collège de France a légèrement changé son fusil d’épaule. Au lieu d’en appeler au sauvetage d’un enseignement des humanités au bord de l’abîme, elle chante haut et fort la grandeur de la langue grecque. Aidée de Monique Trédé, qui dirige le Centre d’Etudes anciennes de l’Ecole Normale Supérieure, Jacqueline de Romilly pousse à nouveau son cri de guerre sous forme de chant d’amour dans Petites leçons sur le grec ancien (176 pages, 15,50 euros, Stock). La lecture en est passionnante car fluide, légère, ailée même. On en oublierait la densité du propos. D’autant que les auteurs ne résistent pas au plaisir de moquer les précieux ridicules, ces pédants et faux-savants des médias et d’ailleurs, qui mettent par exemple de la “problématique” (art de poser les problèmes) à toutes les sauces, là où “problème” suffit amplement.

Tout pour la langue. Ce qui ne fut pas toujours le cas dans l’abaondante bibliographie de l’helléniste, plus souvent consacrée à Thucydide, au pathétique dans la tragédie ou à la modernité d’Euripide. J’en ai surtout retenu un chapitre sur la faculté du grec ancien à inventer des mots ou à en composer en les dérivant et en leur adjoignant des préfixes et des suffixes dotés d’une valeur précise. Deux exemples valent d’être rapportés car il s’agit, d’après les auteurs, de deux termes crées par Platon mais oubliés par nos dictionnaires contemporains. “Timocratie” tout d’abord, forgé à partir de “timé” (marque d’honneur) : ainsi désignait-on un régime où ceux qui recherchaient avant tout les honneurs commandaient (La République, 545, B). ”Théâtrocratie” ensuite, qui fait penser à la société du spectacle de Guy Debord, mais c’est un faux-semblant. Il s’agit plutôt d’une démocratie où tout le monde se croit compétent sans avoir rien appris, du théâtre comme des autres disciplines ; ceux qui en sont en tirent le plus souvent une assurance qui les mène à l’impudence; dès lors ils se croient tout permis, refusent l’autorité, les lois, le serment, l’engagement … (Les Lois, 701, A 3).

“Timocratie” et “Théâtrocratie” sont effectivement deux mots introuvables de nos jours. Dans les dictionnaires. Car dans la vie, les réalités qu’ils recouvrent sont aveuglantes et assourdissantes. Il serait peut-être temps d’accorder les uns avec les autres. Grâces soient rendues à Jacqueline de Romilly qui oblige la masse des oublieux à payer la dette de notre culture à la Grèce ancienne.

(” A Athènes là-haut sur la montagne”, photo passou)