mardi 28 octobre 2008

Lu sur SAUVER LES ÉLÈVES>>>

"Que nul n'entre ici s'il n'est grammairien"
De l'importance de la grammaire

par Jean-Pierre Thullier

C'est sans vergogne que je plagie Platon, tant c'est dans l'esprit de son injonction que je situe ma réflexion. En effet, si l'esprit mathématique doit présider à toute réflexion rationnelle, je suis convaincu que tout discours quel qu'il soit doit être structuré par une grammaire commune et rigoureuse.

Il en va du sens, donc de la communication. Donc de l'humain.

Or, comme beaucoup d'entre vous, je constate une indigence du discours de mes élèves, un déficit important de la culture et du vocabulaire, sans parler de la difficulté, parfois, à lire tout simplement. J'enseigne pourtant en Terminale, en philosophie, et donne quelques heures dans le supérieur où je constate le même phénomène.

Ce qui me paraît en cause dans cet état de fait est l'interdiction de l'apprentissage systématique de la grammaire à l'école.

Ce n'est pas parce que le petit enfant apprend sa langue maternelle apparemment sans effort qu'il faut bannir tout effort dans les méthodes pédagogiques d'apprentissage de la langue. D'autant plus que celles-ci ont parfois pour avantage de corriger la langue apprise dans les familles.

La grammaire est ce qui structure la langue et donc ce qui structure l'esprit. Elle contient une logique qui, une fois ses prémisses acquises et admises, est opérationnelle. Elle forme un code, conventionnel, c'est-à-dire unissant des contractants. Si nous avons les mêmes mots mais pas la même grammaire, il nous est impossible de nous entendre, d'être en accord sur les mêmes vérités.

Opérationnelle, dis-je. En Terminale, il m'arrive, pour certaines phrases longues comme savent en ciseler les Kant ou Descartes, de "faire de la grammaire" avec ou plutôt devant mes élèves. Je cherche la phrase simple, sujet, verbe, complément, puis j'ajoute une par une les circonstances qui en fléchissent le sens... jusqu'à trouver l'idée. Ringard, non ? J'assume. Qu'y a-t-il de compliqué ou de rabaissant à procéder ainsi ? Surtout lorsqu'on sait les problèmes que pose, par exemple, cette phrase de Descartes : "Je ne sais si je dois vous entretenir des dernières méditations que j'y ai faites." Quand je demande ce que représente "y", j'ai droit invariablement à la réponse : "ben, son interlocuteur !".

Il me semble que des analyses grammaticales, ou des analyses logiques - les bien nommées - s'avèrent nécessaires à la compréhension du moindre texte. Pourquoi cacher aux élèves les trésors d'architecture de leur langue ? Pourquoi leur enlever ce merveilleux instrument de compréhension et de libération des idées ? Premier des arts libéraux, la grammaire désigne la capacité de formuler tous les énoncés d'une langue. Libératrice de la pensée, elle est un art de création et de socialisation. Il est inconcevable qu'on n'en fasse pas la base de tout enseignement, y compris celui des formateurs. Si la capacité du langage est innée, il n'en est pas de même de la langue. Elle s'apprend. Et pour la manipuler, il faut aller au-delà du mimétisme de l'enfance. Il faut en connaître les arcanes, et plus proprement la démystifier, qu'elle ne soit pas ou plus un instrument de pouvoir réservé aux élites.

Maîtriser sa langue, c'est maîtriser son langage, et bien au-delà. "Sauver les élèves", dites-vous. Oui, les sauver de l'ignorance et de la servitude qui est son lot. De la facilité démagogique qui empêche leur insertion dans la réalité.

Allez, pour terminer, une petite "brève de copie" : "La question pourquoi faut-il éduquer l'homme ? insinue que la réponse est affirmative."

Que nul n'entre ici s'il n'est grammairien !

Jean-Pierre Thullier

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À lire également un article de Christian Montelle sur la lecture>>>